A toi mon père, et ta maladie d’Alzheimer

A toi mon père, qui est parti loin de la place qu’a pris ta maladie.

Je sais que nous avons toujours eu une relation particulière. Tu étais absent de mon enfance, trop occupé à te consacrer à 100% à ton travail. J’ai grandi avec ta figure presque abstraite, qui m’impressionnait et que je ne comprenais pas. Lors de mon adolescence, nous avons enchaîné les conflits et les difficultés de communication, car je me suis rebellée contre ce père qui, soudainement, apparaissait dans ma vie pour me donner des leçons. Aujourd’hui, alors que je suis maman et que notre relation est enfin apaisée, la maladie pointe le bout de son nez. Alzheimer. Une bien étrange maladie que voilà. Nous n’en sommes même pas sûrs d’ailleurs, avec ton opiniâtreté légendaire nous n’avons pas pu te faire diagnostiquer. Mais quelle ironie. C’est comme si tu nous demandais, d’une manière détournée, de nous consacrer à toi maintenant. Nous qui avons toujours évolué seuls, ou presque. Sans toi. Quelle ironie! C’est drôle comme la vie sait nous mettre face à nos plus grandes blessures pour pouvoir les guérir.

Dans le rapport à cette maladie, un sentiment est étrange. Ca s’appelle le deuil blanc. Peu à peu, ton esprit s’effrite. Se désagrège. Et ne reste que de toi cette enveloppe corporelle qui, elle aussi, s’affaisse. Ce n’est pas une belle maladie, Alzheimer. (est-ce qu’il en existe, d’ailleurs?) Ca donne ce sentiment étrange de devoir faire le deuil d’un proche, qui pourtant est encore vivant. Ca pose la question de ce que nous laissons derrière nous, à la fin. Et ça me fait réfléchir sur la question. Tout ce à quoi tu as consacré ta vie, ces histoires de politique, de place d’adjoint à la mairie, de boîte de conseil, de création de services de médiation sociale, j’en vois les traces dans ma ville. Mais les gens oublient, le temps passe, les boîtes prennent une autre direction, les structures font faillite ou changent de main. Les villes évoluent. La prévention laisse place à la répression. Le sénateur pour qui tu as travaillé est lui aussi malade aujourd’hui. Et les valeurs de gauche que tu as portées dans tes actions semblent bien loin aujourd’hui. Tu as ton nom dans un livre, écrit par le maire pour lequel tu as exercé. Que reste-t-il de tout ça, sinon? Je le vois, toutes tes habitudes, tous tes passe-temps deviennent difficiles à accomplir pour toi. Lire, écrire, regarder les nouvelles sur internet, exprimer ton opinion sur Twitter, taper un texte sur l’ordinateur… Jusqu’à quand ? On le ressent bien, c’est de plus en plus compliqué pour toi de faire tout ça. Tes textes ont perdu leur sens. Et tu as besoin d’aide pour enregistrer un document Word désormais. On maintient tant bien que mal tout ça, jusqu’au jour où tu ne pourras plus lire. D’ici-là, tu peux encore être un peu toi-même.

Que reste-t-il à la fin? La famille. Tes proches. Les gens qui t’aiment, d’abord et avant tout ma mère et moi. Les deux personnes que tu as négligées pendant de si longues années. Et nous sommes là. Nous avons choisi de vivre autrement, pour t’éviter l’EHPAD, pour t’éviter l’hospitalisation. Et nous gérons tes crises, nous gérons tes troubles du comportement, tant bien que mal. Tu n’es plus là, et c’est un autre homme qui a pris ta place. Sensible, fragile, profondément angoissé et susceptible. Si tu voyais à quel point tu es devenu vulnérable. Cet état de fait, paradoxalement, m’aide à te pardonner. Parce que tous les dégâts que tu as fait sur nous, nous ne pourrons jamais t’en demander des comptes. Tu n’es plus là. Mais aujourd’hui, je me rends compte que je n’ai plus besoin de te mettre face à tes défaillances en tant que père. La femme que je suis devenue se suffit à elle-même, et mon conjoint m’a aidée à panser mes blessures. Je garde le meilleur de qui tu as été, et le reste n’a plus sa place.

Je suis prête à t’accompagner dans ta maladie, jusqu’à la fin. Et de tout faire pour t’éviter de te retrouver dans une maison de retraite, où je sais que tu seras extrêmement malheureux (et insupportable avec le personnel…). A toi qui ne m’a jamais dit ces mots, je te les adresse, du fond du coeur :

« Je te pardonne pour tout. Je t’aime Papa. »

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