Mon journal de reconversion #12

J’étais heureuse de cette embauche à l’Etablissement Régional d’Enseignement Adapté en partie parce que c’était mon premier poste qui se rapprochait le plus d’un emploi dans le milieu du social, mais aussi parce que c’était mon premier contrat stable qui durerait un peu. Un an, ça permettait de s’investir et de mettre en place des projets. J’avais notamment envie de monter un atelier théâtre. Avec des amis, on avait monté une association pour faire du théâtre ensemble et je comptais m’en servir. Mais ça ne s’est pas passé comme je l’imaginais. J’ai réussi à monter des ateliers d’improvisation avec les jeunes, mais l’ambiance de l’établissement m’a beaucoup affectée.

L’EREA était à l’époque dirigé par un directeur en fin de carrière, et démissionnaire car proche de la retraite. Notre équipe d’assistants d’éducation était elle dirigée par une CPE toxique et désorganisée qui gérait mal le travail. Les jeunes étaient difficiles, et le public se rapprochait de celui d’un Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique avec tout ce que cela implique de problématiques sociales et comportementales. Mes deux années passées là bas furent riches en termes de pratiques professionnelles (c’est là bas que j’ai fait ma première contention au sol), mais aussi malheureusement en termes de difficultés liées à l’environnement dans lequel nous devions travailler. Les élèves étaient difficiles à accompagner, en grande partie parce que nous n’avions pas de cadre clair à maintenir ni de système de sanctions efficace : nous pouvions seulement écrire des rapports disciplinaires et demander des retenues. Notre CPE fonctionnait beaucoup à l’affect et tenait à ce que toutes les décisions passent par elle. La conséquence était un manque d’autonomie qui était compliqué à gérer au quotidien, et un grand manque de crédibilité envers les élèves qui ne facilitait pas les choses. Je dis que notre cadre fonctionnait beaucoup à l’affect parce qu’elle supportait très mal la remise en question. Et je le découvris à mes dépends, comme une autre collègue, lorsque j’osai porter la parole de mon équipe pour lui dire ce qui n’allait pas. S’en est suivi ce qu’on pourrait nommer comme du harcèlement moral, qui m’a poussée à faire un petit burn out.

Au bout de ces deux années, j’ai quand même demandé un renouvellement de mon contrat. Elle s’est arrangée pour qu’on m’en refuse la signature, et avec le recul je pense que ce n’est pas si mal. J’ai passé au moins un an à m’epuiser émotionnellement au travail, cultivant un sentiment de colère et de révolte permanent. Il fallait que je parte. De ces deux années, à retenir la rencontre d’une fabuleuse équipe composée de véritables war buddies qui devinrent des amis pour la plupart, et la certitude que je ferai mon possible à l’avenir pour ne pas travailler de nouveau dans un environnement aussi difficile.

Je retrouvai rapidement du travail en tant qu’animatrice périscolaire, et une amie monitrice éducatrice me conseilla de tenter de travailler en intérim social pour tenter de me faire un réseau. Pourquoi pas ? Je postulai donc à Medicoop 35 et proposai mes services pour travailler en tant que remplaçante au sein de l’association Essor.

(À suivre…)

Journal des émotions : la gestion de l’angoisse 2/2

Comment définir l’angoisse ? La question mérite d’être posée car le stress, vécu par tout un chacun au moins une fois dans sa vie, est à différencier de la véritable anxiété, qui n’a pas les mêmes causes ni le même fonctionnement. Le stress est un phénomène d’adaptation qui nous met en état d’éveil pour faire face à une situation compliquée où un changement. Dans le cas de l’angoisse, c’est plus complexe. À l’origine, l’angoisse est une tension liée à l’imminence d’un danger. Dans nos sociétés surprotégées, cette mécanique a pris des origines plus métaphysiques et des formes plus profondes.

Pour parler des mécanismes de l’angoisse, j’aime bien l’image de Lise Bourbeau dans son magnifique livre « Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même. Une personne a une blessure sur la main qu’elle n’a pas guéri. Cette blessure fait toujours mal, et elle l’a cachée par un gant pour qu’elle ne soit pas visible aux yeux du monde. Quelqu’un de son entourage veut avoir un geste d’affection envers elle, et lui touche la main. Sans le vouloir, la blessure à vif fait avoir un geste de recul en réponse, à cause de la douleur. C’est la même chose pour l’angoisse. Des meurtrissures psychiques peuvent être activées pour une raison ou pour une autre, et induisent des comportements de protection chez la personne angoissée. Mais ces mécanismes sont obscurs pour l’entourage, et donc peu compréhensibles et peuvent induire des quiproquos.

Comment alors gérer l’angoisse ? Je ne le sais que trop bien, cette problématique est propice à envahir toute la psyché et le quotidien de l’individu qui en souffre. Mais il est possible de travailler sur soi pour vivre mieux avec.

Je n’aurai pas la prétention de dire que je possède la recette miracle pour mieux vivre avec l’angoisse, loin de là. Mais je me permettrai ici de partager mon vécu, et les petits trucs qui m’ont aidée dans ma situation. Peut être que cela permettra à quelqu’un de trouver l’inspiration pour soi-même construire ses propres techniques de gestion de ses émotions ?

C’est donc le livre « Le pouvoir de l’instant présent » de Eckhart Tolle qui m’a permis en premier lieu de faire un pas. Tout particulièrement le passage où il parle de l’ego et la façon dont on peut s’en départir. (Et ce brouillard de pensées qu’on a tous est bien souvent vecteur d’angoisse, d’ailleurs) L’auteur conseille d’observer son mental, de décortiquer ses mécaniques et de comprendre les patterns qui reviennent régulièrement pour les identifier avant qu’ils ne prennent toute la place dans notre tête. Quels sont les déclencheurs de mes angoisses? Comment agissent-elles sur ma psyché ? Qu’est ce qui envahit mon cerveau, et quels sont les symptômes de l’angoisse sur mon corps ? En faisant ce travail de prise de conscience, sans s’en rendre compte on prend du recul et on se détache déjà de ces mécanismes émotionnels qui sont bien souvent plus forts que nous.

La prochaine étape consiste à mettre en place des petites techniques de détente qui permettront de contrer l’arrivée d’une angoisse avant qu’elle s’installe. En se connaissant mieux, on peut prévoir l’arrivée d’une phase émotionnelle difficile. Dans mon cas, lorsque je sens que je vais être submergée par mes émotions, je commence par m’isoler dès que possible. Je ne le conseille pas pour des raisons évidentes, mais fumer une cigarette m’aide à descendre un peu et me recentrer. Lorsque je suis plus détendue, je me rappelle que ce que je ressens est en fait mon angoisse qui s’exprime, et que j’en ai conscience donc je peux m’en détacher. Ensuite, je cherche à nommer directement mon émotion et ce qui en est la cause, pour trouver une solution. Et cela suffit pour que je me sente mieux, la plupart du temps. Mais à chacun ses failles, et ses solutions pour vivre mieux !

Et vous, comment gérez vous votre angoisse ?

Mon journal de reconversion #11

Alisa, anciennement Alisa 35, c’était donc une association travaillant auprès d’adultes en situation de handicap. Malheureusement, aujourd’hui cette association n’existe plus, n’ayant pas survécu au bouleversement qu’à été le premier confinement. Elle comptait des petits foyers, des centres d’accueil de jour et surtout un service de vacances adaptées au sein duquel je travaillai pendant sept ans. On pouvait partir en février, au printemps, l’été et l’hiver notamment pendant les fêtes. Je suis partie d’une semaine à un mois entier, à toutes les saisons, lorsque c’était possible. Ce travail satisfaisait mon besoin d’évasion lorsque je n’avais pas les moyens de voyager, et m’offrait une coupure salutaire dans un quotidien parfois trop gris à mon goût. En somme les mêmes raisons pour lesquelles nos vacanciers attendaient leurs séjours avec impatience chaque année. J’ai fait plein d’activités géniales en séjour adapté que je n’ai refait nulle part ailleurs, et fait de superbes rencontres parmi mes collègues, soi dit en passant. Mais par dessus tout, ce qui me faisait revenir presque chaque année, c’était l’éthique prônée par Alisa dans ses pratiques, à tous les niveaux. On y donnait la priorité au lien, au bien-être de la personne accompagnée. Tant pis pour le rendement, si on ne va pas voir tout ce qui est inscrit sur la brochure, c’est pas grave ! Le principal, c’est que le vacancier reparte heureux, ressourcé, satisfait de son expérience. Ent tant que salarié, nous avions une complète liberté de travail, d’organisation des séjours, de la mise en place de notre travail en commun. L’ équipe interne du siège était très présente, notamment lorsque nous avions un problème, ainsi que les coordos qui étaient bien recrutés. En tous cas je n’ai personnellement jamais eu de mauvaise expérience, si ce n’est avec des animateurs saisonniers qui n’étaient de toutes façons plus présents l’année suivante. En résumé, c’était une association à taille humaine, presque familiale, et bienveillante de sa directrice (qui était capable d’appeler presque tous les vacanciers par leur prénom) aux animateurs habitués.
Si je parle d’Alisa, c’est parce qu’avec le recul je pense que les pratiques de cette asso représentent bien ce que je recherchais dans le social et que je n’ai retrouvé que chez eux : une expérience humaine teintée d’humour, d’équité, de bienveillance et d’une éthique-déontologie irréprochable. Et je n’ai retrouvé cette ambiance nulle part ailleurs.
J’ai donc commencé à travailler au sein d’une école maternelle où je m’occupais d’un petit garçon autiste , tout en gardant des enfants. Jusqu’à ce que je postule pour travailler comme assistante d’éducation au sein l’Etablissement Régional d’Enseignement Adapté Magda Hollander Laffon, qui à l’époque ne portait pas encore de nom particulier. J’étais ravie de cette embauche, et accueillait cette nouvelle lors d’un séjour adapté en été.
Vint donc septembre 2016, et la rentrée.


[À suivre…]

Educ spé’ – Récits de terrain #22

Dessin de Pavo

Educatrice spécialisée. Mon métier. Sujet de critiques et finalement méconnu. On nous imagine altruistes, atteints d’un syndrome de super héros, on comprend mal à la fois la violence et la beauté de ces petits moments qui font notre journée de travail.

C’est quoi être éduc?

J’ai toujours considéré les travailleurs sociaux comme des passeurs d’histoires, des mémoires à vif de notre société actuelle. Je m’en rends compte, notre vécu de terrain constitue bien plus qu’un quotidien professionnel. Ces moments et situations rencontrées restent souvent gravés en nous, et deviennent constitutifs de notre identité professionnelle. Si je me livre ici, c’est que je ressens le besoin de prendre du recul sur ces tranches de vie, et les partager avec qui souhaitera entendre ce que j’ai à raconter.

Pour des raisons évidentes de confidentialité, tous les noms des structures, professionnels et usagers concernés ont tous été modifiés.

***

Pour accompagner ma reconversion professionnelle, il me fallait bien trouver du travail. On ne vit malheureusement pas d’espoirs et de rêves, même si cette nourriture me plairait ! Alors c’est pourquoi je décidai de postuler en Ehpad sur les conseils d’une amie, me rappelant mon expérience en Palestine. J’étais curieuse de retravailler avec ce public et de voir effectivement comment se déroulait le quotidien dans ce type de structure en France. D’autant plus que la maison de retraite où je passai mon entretien d’embauche semblait attacher une grande importance à l’éthique dans l’accompagnement à la personne, et que je me retrouvais dans ce souci !

Je commençai donc à y travailler. Outre la charge de travail liée au manque de personnel, le quotidien au sein de cet Ehpad me plaisait plutôt même si je savais que je n’ y resterais pas plus de quelques mois. Et j’y découvrais un aspect des pathologies psychiques que je connaissais assez peu : les symptômes liés au vieillissement.

Germaine est une femme centenaire, descendante d’un célèbre corsaire selon ce qu’elle en dit. Mais comme elle le rajoute fort à propos : « ça ne donne pas grand chose ! ». C’est une dame très pieuse, et sa démence lui fait répéter inlassablement les prières chrétiennes à longueur de journée. Elle est issue d’un milieu aisé, et son rapport avec ses enfants est d’un autre âge. Le vouvoiement est de rigueur, et sa progéniture l’appelle Mère. J’ai apprécié prendre en soin Germaine, car elle me faisait rire par ses petites phrases fermes et cinglantes. J’ai toujours porté une affection particulière aux femmes à poigne.
« À cent ans passés, il me semble avoir gagné le droit d’être peinard ! »
Germaine souffre de démence, et sa maladie lui fait parfois avoir des visions. Elle avait par exemple vu une de mes collègues en train de brûler, alors qu’elle lui donnait son repas de midi. Une fois où j’étais venue la chercher dans sa chambre , Germaine m’avait affirmé qu’ils sont arrivés, et ils sont pas marrants ! Ils ?
Un matin encore, j’étais en train de l’aider pour sa toilette, et son regard fixait le vide. Soudain, elle s’exclama : « Ah, bravo ! ». Je lui demandai la raison de sa joie, et elle m’expliqua qu’un homme noir était au bout de son lit. Il n’arrivait pas à marcher, mais finalement réussit à faire un pas pour se rapprocher d’elle. D’où la raison de ses félicitations.
Comme je l’ai déjà raconté, j’ai toujours été fascinée par les pathologies psychiques. Le monde que peut créer un cerveau qui dysfonctionne m’a toujours paru incroyable. L’esprit humain en lui même est incroyable. Et dans ce genre de situations je ne peux pas m’empêcher de faire travailler mon imagination : est ce réellement la maladie qui provoque ses visions ? Dans certaines cultures, on raconte que les personnes proches de la mort peuvent voir un monde invisible au commun des mortels. Que voit Germaine ? Une manifestation de son monde intérieur ? Ou autre chose…?