
Educatrice spécialisée. Mon métier. Sujet de critiques et d’idées reçues, finalement méconnu. On nous imagine altruistes, atteints d’un syndrome de super héros, on comprend mal à la fois la violence et la beauté de ces petits moments qui font notre journée de travail.
Hé oui, c’est quoi être éduc?
J’ai toujours considéré les travailleurs sociaux comme des passeurs d’histoires, des mémoires à vif de notre société actuelle. Je m’en rends compte, notre vécu sur le terrain, constitue bien plus qu’un quotidien professionnel. Ces journées restent bien souvent gravées en nous, et deviennent constitutives de notre identité professionnelle. Et si je me livre ici, c’est que je ressens le besoin de prendre du recul sur ces tranches de vie qui font partie de moi. Et les partager avec qui souhaitera entendre ce que j’ai à raconter.
Pour des raisons évidentes de confidentialité, tous les noms des structures, professionnels et usagers concernés ont tous été modifiés.
Dans cet établissement d’enseignement adapté où je suis restée deux ans, j’ai travaillé notamment à l’internat. Deux étages étaient réservés aux garçons, et un aux filles. J’y étais un soir par semaine, le jeudi. Et contrairement aux garçons de 6e et 5e, j’avais plutôt un bon contact avec les filles. J’avais réussi à instaurer un climat de confiance et de bienveillance avec elles : je leur laissais une liberté relative, et elles m’écoutaient lorsque j’avais une remarque à faire. Ce groupe m’a laissé un bon souvenir, qui date du dernier jour de l’année scolaire.
Le soir, j’ai passé un petit contrat de confiance avec elles. Malgré les règles qui leur imposaient de rester dans le lit qui leur était attribué, j’avais envie qu’elles se créent un joli souvenir pour leur dernière nuit, et je leur ai permis de déplacer les matelas comme elles le souhaitaient, et de faire des dortoirs dans les chambres. Comme une soirée pyjama! Elles ont bien évidemment été emballées par l’idée, et ont tout de suite commencé à réorganiser les chambres. Je leur avais imposé deux règles : se coucher à minuit au plus tard, et ne pas faire de bruit si elles se déplaçaient dans le couloir.
La soirée se déroula sans encombre, et j’observais avec amusement les plus âgées d’entre elles qui cadraient les autres avec fermeté : « Shhhhht! Aya a dit de ne pas faire de bruit ! ». Survint seulement un petit événement indésirable…
L’alarme incendie avait été déclenchée plus tôt dans la soirée, dans le couloir qui jouxtait le nôtre. Et le directeur avait décidé de passer voir si tout allait bien. Je les informai de l’imminence de son arrivée, et me postai face à la chambre de garde. Il ne fit que passer, accompagné d’un agent technique, et me salua avant de repartir. Les filles étaient calmes dans leurs chambres.
Je fis un tour dans les chambres après cela. Je découvris alors que les collégiennes avaient caché les matelas en quatrième vitesse, et s’étaient remises dans leur lit comme si de rien n’était. Elles me le firent remarquer avec un air grave : « Tu as vu, on a tout rangé pour être sûres que tu n’aies pas de problème ! » J’ai trouvé cette innocente gentillesse touchante, et leurs sourires satisfaits m’ont laissé un doux souvenir.
De leur côté, cette soirée les a marquées comme je l’espérais. Celles qui n’avaient pas changé d’établissement l’année suivante m’en ont reparlé de nombreuses fois !