
Chapitre 2 : L’école, la rue et le travail social
J’entrai donc en école du travail social. Psychologiquement, j’étais très fragile à l’époque, et ne trouvai que peu de camarades de classe avec qui je me sentais en sécurité. Je vivais un deuil très violent, me sentais trop fatiguée pour être aussi sociable que d’habitude. Pour ce qui est des cours, je ne me suis jamais sentie à ma place dans une salle de classe, assise sur un siège à écouter un professeur pendant des heures en prenant des notes. Mais j’ai tout de même tenté de m’intéresser. Les cours de psychologie, d’histoire du travail social m’ont plu, et certains cours thématiques. Mais mon état psychologique ne m’a bientôt pas permis d’être assez assidue pour être présente en cours tous les jours. Et je me sentais déjà en décalage avec certaines notions qu’on nous rabâchait à l’époque : la distance, la distance, et toujours la distance. Comme si accepter ses émotions dans un travail tel que le notre était un péché.
J’ai beaucoup plus évolué lors de mes stages.
Le premier, je l’ai effectué dans un service de prévention spécialisée à La Rochelle, avec des éducateurs de rue. J’ai beaucoup appris lors de ces six mois. Tout d’abord oui, une station balnéaire peut quand même comporter des quartiers chauds, et une grosse problématique de trafic de drogue. Ensuite oui, le sexisme et le harcèlement sexuel au travail sont une réalité. Enfin, j’ai fait la rencontre de Philippe qui m’a, je pense, transmis l’amour de son métier. Et m’a encore plus appris au passage. Un éduc, c’est un artisan de la relation éducative. Il sait s’adapter à chaque situation, trouver un levier chez chacun pour construire une confiance et un respect mutuel qui permettront l’accompagnement éducatif. C’est quelqu’un qui sait observer, comprendre, analyser sans aucun jugement. C’est celui qui sait créer la libre adhésion chez une personne fragilisée, afin de trouver les moyens de l’aider à se prendre en charge elle-même, à se sortir de la merde, à vivre une vie décente, qui lui convienne.
Un maître mot : l’autonomie.
Pour mon deuxième stage, j’ai travaillé dans un centre d’hébergement d’urgence rouennais pour hommes, majeurs. Le foyer proposait aussi un dispositif type centre d’hébergement et de réinsertion sociale pour faciliter la transition vers des structures plus stabilisantes. Au sein de ces murs étaient hébergés 120 hommes aux profils très divers : grands précaires, jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance, étrangers et demandeurs d’asile… La structure m’a tout de suite plu, au premier abord. Les conditions y étaient très difficiles, mais le collectif avait des allures de Cour des Miracles et je me suis toujours sentie à mon aise dans un bordel vivant. Là bas, j’ai continué à évoluer. J’ai adoré travailler avec des personnes sortant de la rue, ainsi qu’avec des étrangers. J’ai travaillé comme une éduc de rue, maintenu cette volonté de libre adhésion qui a plutôt bien marché avec le public. J’ai appris que lorsque j’aime une structure, je suis capable de consacrer tout mon temps et toute mon énergie à mon travail avec plaisir, au détriment de ma vie personnelle. J’ai appris aussi que j’étais capable de travailler dans un brouhaha incessant, gérer des situations de crise et affronter des histoires de vie traumatiques et des contextes de violence. J’ai compris que si je continuais à travailler dans le social, j’avais trouvé mon public. J’ai appris qu’accepter ses émotions et son attachement envers les personnes accompagnées n’était pas une tare, loin de là. J’ai même écrit un livre sur mon expérience au sein de ce foyer, qui n’a malheureusement pas trouvé preneur.
Pour finir, j’ai travaillé trois mois en stage au sein d’un centre de réadaptation professionnelle situé dans la périphérie de Rennes. Cette structure proposait un accompagnement médico-social à destination de personnes orientées par leur assurance suite à un diagnostic de maladie professionnelle, ou un handicap. L’objectif y est de faire un bilan de compétences, scolaire et physique pour pouvoir travailler une réorientation professionnelle à la hauteur de leurs capacités. Dans cette structure, je me suis heurtée à un environnement professionnel dont je ne me doutais pas. J’avais un préjugé : la direction est à côté de la plaque, maltraitante, ne considère pas ses salariés et impose des pratiques inadaptées. Au sein de ce centre, la situation était inverse. L’équipe était détachée des réalités de son public, inadaptée, désinvestie, prolongeant des pratiques parfois absurdes (on y proposait un test scolaire qui devait dater d’au mois quinze ans…), à l’inverse de la direction : motivés, impliqués dans leur travail, ne comptant pas leurs heures… L’habit ne fait donc pas le moine. Je ne me suis pas retrouvée dans cette structure. On ne m’a pas laissé de liberté d’agir, et reproché ma pratique. J’ai ressenti l’environnement comme sclérosé, et j’ai eu hâte de partir. J’ai appris que tous les environnements de travail ne me conviendraient pas.
Vint ensuite le temps des examens.
A suivre…