
Petit coup de gueule.
Lorsqu’on est travailleur social, et qu’on présente son activité professionnelle à quelqu’un, c’est toujours la même chose. « Il en faut des gens comme toi », « Tu es courageuse », « Ah moi je ne pourrais pas »… Ces petites remarques, bien qu’anodines, elles s’accumulent au fil de ta vie au travail, et deviennent difficiles. J’ai du mal à les supporter, lorsqu’on me les sert. Pour diverses raisons, que je ne listerai pas ici. Je me permettrai simplement de dire qu’on finit par imaginer éveiller chez les gens deux sentiments : on chatouille les idées extrêmes de certains, pendant que d’autres nous imaginent animés par l’importance d’accomplir une mission sacerdotale. Les travailleurs sociaux ne sont pas des héros, loin de là. Et on parle de nous souvent en mauvais termes, sans comprendre le contexte de notre profession. Le dernier reportage que j’ai aperçu sur l’Aide Sociale à l’Enfance (que je n’ai pas voulu visionner, pour préserver mes nerfs) présentait une contention comme un acte violent, sans en avoir donné le contexte. Il interrogeait une jeune prise en charge par les services de l’Etat, en écoutant son mal-être…sans visiblement donner le contexte de sa situation. Ca ne suffit pas. Et ça entretient les clichés.
On oscille entre des remarques sur les manquements des services sociaux, et ces petites phrases qui complimentent notre courage, et qui deviennent assassines. Avec la pratique, et avec le covid, j’ai réalisé que la majorité des français n’en ont pas grand chose à faire de notre corps de métier. Et l’Etat en particulier. On s’occupe d’indésirables, peut-être est-ce pour cela? Probablement. On peut mourir dans le silence, et sans hommages. Qui voudrait féliciter un ME pour avoir réussi la réinsertion d’un grand précaire? Ca paraît évident, peut-être. Mais ça fatigue, à la longue. Car même si on ne l’attend pas, elle fait du bien la reconnaissance. Et avec le covid, ce besoin s’est exacerbé chez moi, comme chez beaucoup d’autres collègues.
Lors du premier confinement, je me rappelle passer tous les jours devant un panneau LED sur mon chemin vers le travail. « Merci au personnel soignant, merci aux caissières, merci aux livreurs, merci aux infirmières libérales, merci aux éboueurs… » Et nous?
Nous aussi nous avons travaillé. Nous aussi nous avons trimé, alors que la France entière était confinée. Personne n’était-il donc capable de le voir?

Cet état de fait, il invisibilise globalement un corps de métier très beau par essence. Car oui, l’altruisme, c’est beau. N’en déplaise aux libéraux. Et non, les travailleurs sociaux ne sont pas des anges. Ni des héros. On ne sauve pas l’humanité. Mais on tente de le faire.
On est tour à tour des parents, des enseignants, conseillers d’orientation, employés administratifs, plombiers, peintres, cuisiniers, animateurs, soignants de petits bobos, psys… On rassure, on tente, on calme, on contient, on sèche des larmes, on crie, on dynamise, on pose de petits actes pour, chaque jour, arriver à reconstruire la confiance perdue. Tous ces gens que les passants honnêtes (de la chanson de Brassens) jugent, médisent, évitent du regard, nous apprenons à les connaître, à reconstruire leur rapport à l’autre, à eux-mêmes, à construire un avenir… Tout ça pour que cette société puisse avoir une homogénéité, une harmonie entre ses membres. On ne fait pas ça tout seuls, bien sûr. Mais on s’attèle à cette tâche en y mettant bien souvent beaucoup de nous.
Et puis si on rate, c’est pas grave. On réfléchit, on analyse, on prend du recul, on pose des objectifs, les bases d’un projet qui renversera la tendance, on l’espère. Et on reprend les choses. On revient. On abandonne pas. On cherche des solutions. Tout ça pour atteindre la sacro-sainte Autonomie qui permettra à l’usager de s’en sortir sans trop de casse. On est là pour ça. On lâche pas.
Alors non, les travailleurs sociaux ne sont pas des héros. On est multiples. On est profs d’auto-école, nounou, standardistes, conseillers en insertion professionnelle, monteurs de projets, adeptes d’humour noir… Faisant partie d’un corps de métier bien trop vecteur de légendes et clichés. En cruel manque de reconnaissance, et fatigué de l’être.