Educ spé’ – Récits de terrain #14

Dessin de Pavo

Educatrice spécialisée. Mon métier. Sujet à la fois de critiques et d’idées reçues, et finalement méconnu. C’est vrai ça, spécialisée en quoi ? On nous imagine altruistes, atteints d’un syndrome de super héros, on comprend mal à la fois la violence et la beauté de ces petits moments qui font notre journée de travail.
Hé oui, c’est quoi être éduc?

Avant même d’être diplômée, j’ai toujours considéré les travailleurs sociaux comme des passeurs d’histoires de vie, des mémoires à vif de la réalité de notre société actuelle. Je m’en rends compte maintenant, notre vécu sur le terrain, constitue bien plus qu’un quotidien professionnel. Que ces journées soient bouleversantes, douloureuses ou drôles, touchantes ou absurdes, elles sont bien plus que de simples journées: elles restent bien souvent gravées en nous, et deviennent constitutives de notre identité professionnelle. Et si je me livre ici, c’est que depuis ma première véritable expérience de profonde peur à mon travail, je ressens le besoin de prendre du recul sur ces tranches de vie qui font désormais partie de moi. Et pour ce faire, les partager avec qui souhaitera entendre ce que j’ai à raconter.

Pour des raisons évidentes de confidentialité, tous les noms des structures, professionnels et usagers concernés ont tous été modifiés.


J’ai travaillé deux ans dans un établissement scolaire adapté situé en Ille et Vilaine. Ce fut une expérience intense pour moi, et riche d’apprentissages divers, à la fois sur le monde du travail et des difficultés de mon métier. Car même si je n’étais pas sur un poste d’éducateur, je travaillais avec un public très divers : jeunes en décrochage scolaire, d’origine étrangère, qui présentaient des troubles du comportement, qui avaient vécu des difficultés personnelles et familiales les ayant marqués, ou simplement qui ne pouvaient pas s’adapter au système scolaire classique…

Lors de mes deux années passées principalement à l’internat, j’ai rencontré un certain nombre de garçons et filles. Parmi eux, un jeune m’a particulièrement marqué. S. était d’origine maoraise (si je ne m’abuse), et faisait partie de ceux qui n’avaient pas vu le jour dans une famille qui leur aurait permis de se construire sereinement. C’était un garçon fermé, fuyant, faisant très peu confiance à l’adulte, et son vécu l’expliquait tout à fait. Il était assez provocateur, dans la transgression comme beaucoup d’adolescents, et assez intelligent pour fomenter ses bêtises dans le dos de l’équipe de la vie scolaire, sans être remarqué…

Notre relation a été très compliquée lors de ma première année dans cet établissement. Nos conditions de travail ainsi que la hiérarchie laissant très franchement à désirer, j’étais épuisée par mon quotidien au travail et nous ne pouvions pas mettre en place un cadre qui aurait été assez sécurisant pour les jeunes. Et cette défaillance aurait pu éviter beaucoup de débordement qui eurent lieu pendant ces deux années. S. était donc très provocateur, difficile à saisir, et j’étais pour ma part coincée dans un positionnement très strict qui n’aidait pas du tout à faciliter mes relation avec lui, ainsi que beaucoup de garçons de l’internat.

Pourtant, pendant l’été qui a précédé ma deuxième année, quelque chose s’est passé dans la vie de S. Lors de la rentrée suivante, son comportement s’était apaisé, il avait gagné en maturité, et incitait les autres jeunes à mieux se comporter, et venait même en soutien de l’adulte pour gérer certaines situations. J’étais impressionnée par les progrès qu’il avait fait, et valorisai autant que je pouvais ces changements dans sa vie et sa manière d’être. Nos relations, bien évidemment, se sont de ce fait grandement améliorées.
S. était simplement un jeune qui avait besoin qu’un adulte lui porte de l’attention, et reconnaisse sa valeur. Et j’espère avoir laissé chez lui un bon souvenir, après le dernier échange que j’ai pu avoir quand il a obtenu son diplôme, à la fin de ma dernière année de travail dans cet établissement scolaire.

J’étais au bureau, et S. vient pour récupérer un papier. J’avais appris qu’il était diplômé. Nous étions seuls dans le bureau, et je me dis que c’était le moment de lui prouver qu’un adulte pouvait reconnaître ses efforts et sa valeur, car il avait prouvé cette année qu’il était capable d’évoluer d’une manière remarquable. Je le pris donc à parti.

« Tu sais, S. J’avais envie de te le dire, nos relations ont été difficiles l’année dernière, je sais que je criais beaucoup mais j’étais très fatiguée. En tous cas j’ai vu les efforts et les progrès que tu as fait cette année, dans ton comportement, et là tu as ton diplôme… Alors voilà. Je te souhaite le meilleur, je suis sûre que tu réussiras dans tes projets. Je suis fière de toi. »

Il ne m’a rien répondu, ou presque. Juste un « Merci ». C’était de toutes façons un gamin réservé, et je respecte ça. Mais son visage, lui, a tout de suite changé d’expression. Et je n’oublierai jamais la manière dont il s’est illuminé.

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