
Educatrice spécialisée. Mon métier. Sujet à la fois de critiques et d’idées reçues, et finalement méconnu. On nous imagine altruistes, atteints d’un syndrome de super héros, on comprend mal à la fois la violence et la beauté de ces petits moments qui font notre journée de travail. C’est quoi être éduc?
J’ai toujours considéré les travailleurs sociaux comme des passeurs d’histoires, des mémoires à vif de la réalité de notre société actuelle. Je m’en rends compte, notre vécu sur le terrain constitue bien plus qu’un quotidien professionnel. Que ces journées soient bouleversantes, douloureuses ou drôles, touchantes ou absurdes, elles sont bien plus que cela et restent bien souvent gravées en nous, devenant constitutives de notre identité professionnelle. Et si je me livre ici, c’est que depuis ma première véritable expérience de peur à mon travail, je ressens le besoin de prendre du recul sur ces tranches de vie qui font partie de moi. Et pour ce faire, les partager avec qui souhaitera entendre ce que j’ai à raconter.
Pendant sept ans, j’ai travaillé avec une association bretonne qui comptait plusieurs accueils de jour, mais surtout organisait des séjours adaptés à plusieurs périodes de l’année en direction d’adultes issus de divers foyers du grand ouest. Cette association a malheureusement dû fermer son service de séjours adaptés à cause de la crise liée au covid-19, et c’est bien dommage parce qu’elle valorisait une éthique professionnelle admirable, et trop rare de nos jours. Je m’y suis toujours senti comme un poisson dans l’eau, et j’y ai vécu de très beaux moments.
Je me souviens de l’un de mes premiers séjours d’hiver, comptant une célébration de Noël et du Nouvel An. J’étais directrice de séjour, et je m’entendais très bien avec mon animatrice, un peu borderline, tout comme moi. Nous étions partis manger au restaurant, et voir les illuminations de Laval, qui valent effectivement le coup d’oeil. Il fait nuit, légèrement froid, mais pas trop non plus. L’atmosphère est agréable. Nous nous baladons, en prenant vaguement la direction du restaurant que nous avons réservé. Au détour d’une rue, surprise! Nous croisons d’autres vacanciers de l’association. Nous saluons nos collègues, et les vacanciers échangent quelques mots.
Lorsqu’on reprend notre chemin, je marche à côté de Didier, qui prit congé de la jeune femme vacancière avec qui il venait de faire connaissance. Etant un personnage plein d’humour, je tente une vanne idiote.
« Dis donc Didier, tu lui as tapé dans l’oeil! » J’oubliais que la déficience rend parfois compliquée la compréhension de l’ironie, ou des expressions imagées. Il me répondra, le plus sincèrement du monde:
« Ben non, puisque je lui ai serré la main! »
Je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire…