Ma grossesse et mon accouchement 2/3

Le 23 octobre 2020, j’étais prête. Mon sac était prêt, mes notes révisées, le ménage fait. Je me suis activée d’un coup, et laissée aller à une humeur de tornade blanche, pensant vaguement que si rien ne venait aujourd’hui, je serais déclenchée demain. C’est alors que dans mon bas-ventre se sont faites sentir de très légères sensations de tiraillement qui m’ont alertée, me donnant l’espoir que quelque chose se préparait. J’ai continué de m’activer, j’ai passé des appels, au fond de moi je sentais que quelque chose se préparait. Comme un nouveau départ. Moi qui finissais par me sentir obèse, lourde, faible, douloureuse dans ce corps encombrant, je me suis habillée, et j’ai entamé une longue marche rapide et énergique d’une heure pour aider l’accouchement à venir. J’ai parlé au bébé dans mon ventre, pendant la marche, en écoutant de la musique et en écrivant à mes amies. Au retour, je remontai mes cinq étages à pied. A ce qu’il paraît, ça fait venir le bébé, et j’espérais avoir déclenché quelque chose. Mais mes sensations disparurent.

Je me couchai déçue, en pensant qu’il faudra que j’appelle l’hôpital le lendemain pour être déclenchée. Ce genre d’accouchement est apparemment beaucoup plus douloureux. S’il le fallait, qu’il en soit ainsi.
A une heure vingt du matin, je suis réveillée par une douleur au bas-ventre. Je suis mouillée, comme si je venais de me faire dessus. Je décide d’aller aux toilettes pour voir ce qu’il en est, et non, ce n’est pas de l’urine. C’est donc que j’ai perdu les eaux… De retour vers le lit, je ne sais pas vraiment comment réveiller mon conjoint.
« Euh j’ai perdu du liquide… Réveille-toi!
– Du liquide? Quel liquide?
– Le liquide amniotique! Je suis sûre de ne m’être pas fait pipi dessus, là. Il faut y aller. » Il se lève.

« C’est maintenant alors? » On se regarde, mi sonnés, mi excités, mi incrédules. Un peu bêtes. On se réjouit, comme des enfants. Ca y est, c’est maintenant!
Zaza me fait des pâtes, je vais prendre une douche, et un microlaxe. On l’apprend aux cours de préparation à l’accouchement: les pâtes, c’est pour palier au fait que pendant toute la durée du travail, on ne doit pas manger. Il faut des sucres lents pour pouvoir gérer l’effort à venir. Le microlaxe, c’est parce qu’il y a un risque de défécation accidentelle pendant la poussée. Autant éviter ça si c’est possible…! Je rassemble les dernières affaires à mettre dans le trousseau, à la fois endormie et concentrée. Zaza me sert mes pâtes, je les mange. Ca y est, je suis prête. Direction l’Hôpital Sud.

On se dirige vers la maternité, excités, un peu sonnés, peinant encore à croire que ça y est, on y est à ce moment que l’on attendait tellement depuis neuf mois. A peine garés, direction les urgences néonatales. Ma démarche est déjà précautionneuse.
Nous sommes accueillis par une sage-femme à l’humour décapant:
« Oui, c’est pour quoi?
– Ben je crois que j’ai perdu les eaux…
– Encore une? C’est la mode ce soir!
– Ben oui, désolée de ne pas être originale…
– Allez ça fait rien, venez par là.  » Après le questionnaire Covid réglementaire, on nous fait entrer, et on m’enregistre. Zaza s’endort sur mon coussin d’accouchement, moi je suis un peu sonnée encore. J’essaie de mesurer ce qui va m’arriver. Une sage-femme nous emmène dans une salle d’examen pour vérifier que j’ai bien perdu les eaux. Je baisse à peine mon pantalon sur la chaise gynécologique que du liquide s’écoule sur la serviette qu’elle a mis par précaution. C’est confirmé. Elle m’annonce que je ne rentrerai pas à la maison ce soir. C’est la première fois que je vais être hospitalisée.

Le personnel nous emmène ensuite dans une salle où je suis censée faire trente minutes de monitoring. L’idée est d’enregistrer le battement de coeur du bébé pour voir si tout va bien. Je suis sur un lit, on me place les appareils,et comme à chaque fois la petite chose dans mon ventre s’agite. J’ai comme l’impression qu’il n’aime pas les examens. Zaza s’endort de nouveau sur la chaise à côté de mon lit. La lumière est tamisée dans cette chambre où on voit la nuit.


J’envoie encore des messages, séparée par une cloison d’une autre dame qui s’apprête elle aussi à accoucher. Les contractions commencent à se faire sentir, pour l’instant ça va. C’est effectivement comme une vague: la douleur arrive, s’intensifie, atteint un point culminant pour ensuite s’en aller peu à peu. Je gère avec des exercices de respiration que l’on m’a appris aux cours de préparation à l’accouchement. La sage-femme vient me voir plusieurs fois, me parle avec douceur. Le coeur de mon bébé bat à un rythme normal, on nous emmène dans une chambre où dormir un peu, le temps que les contractions s’accentuent et s’accélèrent. Mon amoureux est sur un lit d’appoint, et moi je tente de me reposer sur le lit médicalisé. J’alterne entre des courtes phases de sommeil et des séances de lecture de Berserk, entrecoupées d’exercices de respiration pour gérer les contractions qui sont de plus en plus présentes. La douleur commence à atteindre l’intensité de mes règles que l’endométriose rend parfois cauchemardesques. En mon for intérieur, je me dis que si les contractions sont amenées à être encore plus douloureuses, mes nerfs vont être mis à rude épreuve… On verra. Après deux passages d’infirmières, on décide de m’emmener en salle d’accouchement pour continuer le travail, puisque les contractions se sont accélérées. Comme je commence à être un peu sonnée par la douleur, on me propose un fauteuil roulant. J’accepte.
Je me fais cette réflexion, que je partage avec l’infirmière qui m’emmène: en sept ans de travail auprès de personnes en situation de handicap, j’en ai poussé, des fauteuils. C’est drôle de me retrouver à la place de celui qui y est assis.

Enfilade de couloirs. Arrivée en salle d’accouchement numéro cinq. C’est là que tout va se jouer. Je me déshabille, revêts la blouse d’hôpital qui vient accompagner mon bracelet en plastique. Je suis accueillie par trois sage-femmes très souriantes, qui m’installent. Zaza est parti fumer, il est déjà environ huit heures. Les contractions sont plus supportables, et se sont espacées. On me place un autre monitoring, qui fait de nouveau réagir mon petit alien. La pièce s’emplit de ce bruit aquatique qui m’accompagnera jusqu’à la fin. J’ai droit aussi à un bracelet qui prendra ma tension automatiquement toutes les demi-heures. Je me sens harnachée, avec tout ça. Et ça n’ira pas en s’arrangeant.
On m’autorise à manger une compote et boire un verre de sirop pour reprendre un peu de forces. Normalement je dois être à jeun pendant le travail.

Alors que je tente de me reposer, je rappelle l’équipe médicale: un frelon s’est invité dans ma salle d’accouchement…! Clouée au lit comme je le suis, je me sens vulnérable. On me déplace dans la salle numéro huit, puis on me ramène une fois la bestiole évaporée. Heureusement, je pense que je n’aurais pas réussi à contrôler mes réactions s’il s’était approché de mon lit!
Le reste de la journée s’écoule. Les contractions sont de plus en plus fortes, je les gère comme je peux. J’alterne respirations, postures censées aider le bébé à descendre et se placer comme il faut, et exercices sur le ballon. Mais les douleurs sont de plus en plus fortes, et les techniques douces ne m’aident bientôt plus. Les contractions sont indescriptibles, mais je suis loin d’avoir oublié à quel point j’ai eu mal. Tout mon bas-ventre est en feu, mon corps entier est en souffrance, je ne peux plus m’allonger dans les positions que je veux. Les douleurs s’accentuent par vagues avec les méandres des contractions, et sont de plus en plus proches de la limite de ce que je peux supporter. Tout cela est bien plus dur que tout ce que j’imaginais, bien plus violent que tout ce que j’ai pu vivre avec l’endométriose, et je commence à ne plus pouvoir penser correctement. J’ai l’impression de devenir folle, je ne sais plus ce que je dis. Et le trio de sage-femmes qui viennent me voir le remarquent, elles finissent par me proposer la péridurale.

Il me faut préciser deux choses: en premier lieu, je mesure à quel point les pères doivent se sentir démunis dans de pareils moments. Mais le simple fait de leur présence est déjà très aidant pour traverser tout ça. Ensuite, je ressens désormais un profond respect pour toutes ces femmes qui, pendant des siècles et des siècles, ont accouché sans avoir de moyens de se soulager, ou qui sont mortes en couches dans d’atroces souffrances. Je mesure un peu mieux désormais le calvaire par lequel elles sont passées. Respect les filles.

On me pose en premier lieu une perfusion que l’on activera si je fais une baisse de tension. C’est aussi la première fois que l’on me pose une perfusion. Ensuite, l’équipe médicale entre dans ma salle d’accouchement. Il y a trois anesthésistes dont une stagiaire, et deux sage-femmes. On me demande de m’asseoir en tailleur, et on place un coussin dans mes bras pour m’aider à gérer les spasmes douloureux. Il m’est aussi demandé de porter un masque pendant la pose, et de prévenir si je sens une contraction venir.
J’ai peur, je n’ai jamais eu d’anesthésie aussi importante. Je me sens terriblement vulnérable, et mon état accentue ce ressenti. Mais les femmes en blouse blanche me prennent les mains, me dispensent des paroles rassurantes, félicitent mes efforts pour gérer les contractions. Le personnel de l’Hôpital Sud aura fait preuve d’un grand sens de l’écoute et d’une empathie remarquable. Le fait de me sentir entourée m’aide énormément. J’arrive à me décrisper un peu, et ne pas penser à la taille de l’aiguille, que l’on dit très grande. L’anesthésiste fait son travail.

On me réinstalle ensuite en position allongée, et on m’injecte les premières doses. Le soulagement est incroyable, Dieu bénisse la péridurale! J’arrive enfin à me détendre réellement, et me reposer. Les sage-femmes qui reviennent me voir me sourient:

« Ah ça va mieux Madame Gérard, ça se voit! Je préfère vous voir comme ça, moi! » J’arrive enfin à dormir.

[A suivre…]

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