
Je suis féministe.
Et puisqu’il faut souvent l’expliquer, je vais de nouveau m’exécuter. J’entends par là que par mon action, par mon comportement, par mes choix, ma vie ainsi que ma manière d’envisager mon rapport aux autres, je tente de promouvoir l’égalité des sexes, au bénéfice de la femme mais non au détriment de l’homme, censé être notre allié plutôt que notre oppresseur. Et ne commencez pas à jouer sur les mots, je parle d’oppression d’une manière multiple, aussi bien physique que mentale, qui touche la globalité des femmes dans le monde.
Oui, je suis féministe. Tant qu’il y aura des femmes violées en Inde, excisées en Afrique, et stigmatisées à cause de leur genre en Europe, je serai féministe. Et de mon point de vue, c’est absolument naturel. C’est une question d’humanité.
Pourtant, je joins de moins en moins la parole au geste, ces derniers temps. Car se définir auprès de quelqu’un comme étant féministe, de nos jours, c’est brinquebaler avec soi tout un cortège de petites cases et d’idées préconçues… Tout en étant fatigantes, elles rendent difficile le fait de se placer entre la méfiance de l’un et l’obscurantisme de l’autre.
Car il y a ceux, tout d’abord, qui me figurent déjà en coupeuse de couilles vengeresse, porte-drapeau d’une idéologie teintée de cinquante nuances de frustration sexuelle toute en pilosité apparente. A ceux-là, je me retrouve perpétuellement obligée de leur expliquer que le féminisme, l’originel, le bienveillant, celui qui rime avec bon sens, n’a toujours eu comme but que celui de rechercher l’égalité parfaite entre les hommes et les femmes (droit de vote, contraception, liberté d’aller, d’agir, de se développer en tant qu’être humain, avortement, etc), et est loin d’exclure les hommes de son combat. Le féminisme parle d’égalité entre les femmes et les HOMMES: c’est donc bien que ceux-ci sont compris dans l’équation, non? Ainsi, si je parle de sexisme, une femme scientifique détournée contre son gré de sa carrière au seul motif que sa possible maternité freinera la bonne marche de ses recherches (demandez-vous pourquoi la majorité des recherches sont aujourd’hui effectuées par des hommes…) pourra tout autant me choquer qu’un Papa à qui on refuse la garde de ses enfants dans une procédure de divorce au motif non avoué qu’une femme procrée (et est donc la mieux adaptée pour élever des enfants, bien évidemment) et non un homme.
A côté de ça, certaines et certains (car oui, un homme peut de mon point de vue être féministe) interprètent ma dénomination en tant que féministe comme une approbation automatique de leurs opinions, quelles qu’elles soient. Et cette facilité d’interprétation me gêne, car je ressens de nos jours une espèce d’obscurantisme idéologique chez certains qui me perturbe: si l’on se réclame d’un mouvement, il faut nécessairement se sentir concerné par telle ou telle cause, c’est comme ça et pas autrement. Comment?! Tu dis que le harcèlement de rue n’est pas un combat de premier plan pour toi?! Mais tu n’es pas féministe?
Ben justement, si. Mais je suis une féministe fatiguée des débats stériles. Et qui aimerait bien qu’on arrête de lui péter les ovaires.
Aujourd’hui, je suis parfois fatiguée de me définir en tant que féministe auprès des gens. C’est un mouvement, une cause tellement importante et qui me tient à coeur, et de mon point de vue toutes les femmes devraient être engagées pour faire avancer le schmilblick. Mais l’on se perd trop en conjectures, et on confond tout. Les violences conjugales, l’égalité au travail et la question du genre dans notre société sont des questions qui se perdent parfois au profit de débats sur le sexisme latent de la bise dans notre société, ou sur le manspreading. Le harcèlement de rue en est un exemple parlant : en partant d’une question importante, qui tient au respect de la femme sur l’espace public et à la prévention de diverses agressions, nous en avons dérivé à des extrêmes invitant les gens à ne plus se parler du tout dans la rue… Est-ce une bonne chose? De mon point de vue, certaines questions sont une perte de temps. Je préfère faire avancer les choses sur la représentation de la femme dans les médias et la publicité par exemple, plutôt que de m’intéresser à des questions que l’on peut régler en tant qu’adulte, indépendamment d’un genre. Pourquoi perdre du temps en actions là dessus? Ou reprocher à certains ou certaines de ne pas adhérer à tel ou tel pseudo-combat?
Posez-vous la question. Est-ce que cela vaut la peine de perdre du temps en manifestations et débats publics pour faire comprendre à tout le monde que supposer systématiquement qu’une femme doit faire la bise pour dire bonjour, c’est sexiste? Si j’évite ces questions, c’est que pour moi, ces « problèmes » se règlent en s’imposant en tant que personne adulte, qui sait ce qu’elle veut et sait dire non. Si ça vous fait chier de faire la bise, imposez vous en expliquant que vous préférez serrer la main! Et voilà, à force, les gens s’habitueront. Ce n’est pas un problème de genre, puisqu’il peut être réglé chacun à notre échelle. C’est un problème de personne adulte. Réfléchissez, avant de crier au sexisme.
Il y a tellement de questions plus importantes dans le monde. Que ce soit la question de la situation des personnes transgenre, la sexualisation des enfants par les jouets, l’excision, le viol, les violences conjugales, les inégalités salariales, l’acceptation des femmes qui ont décidé de ne pas être mères, la condition de la femme au Moyen-Orient, la préservation de nos droits, la légalisation mondiale de l’avortement…
Il y a tellement de combats à mener, partout. Ne perdez pas votre temps en futilités, et agissons.
« Le harcèlement de rue en est un exemple parlant : en partant d’une question importante, qui tient au respect de la femme sur l’espace public et à la prévention de diverses agressions, nous en avons dérivé à des extrêmes invitant les gens à ne plus se parler du tout dans la rue »
Est-ce que tu as vraiment entendu des gens défendre ça ? J’ai lu énormément de choses sur le sujet et je n’ai jamais croisé de telles positions, plutôt des conseils aux hommes sur le fait de ne pas draguer ouvertement dans des lieux dans lesquels les gens passent, dans lesquelles les femmes sont pas déjà super à l’aise etc
Pour le reste je suis en grande partie d’accord, après même ces petits exemples sont reliés aux enjeux plus importants, mais il faut adapter l’énergie qu’on passe à en parler : je souligne parfois le problème dans la bise/serrage de mains aux personnes autour de moi, mais je ne vais pas lancer une campagne là dessus, grosso modo 🙂 c’est aussi le souci dans les campagnes très lisses et dépolitisées je pense, on prend des trucs a minima… Mais heureusement y’a quand-même dans l’ensemble une vision claire des priorités je trouve chez les plus militantes, quasi toutes les féministes se retrouvent sur l’avortement par exemple
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Oui, malheureusement, il m’est arrivé d’entendre des gens soutenir que les gens ne devraient pas se parler dans la rue pour éviter toute forme de harcèlement/drague, en gros. L’argumentaire, j’avoue que je n’ai pas envie de le développer, je pense simplement que ceux qui revendiquent ça n’envisagent pas d’autres raisons de s’adresser la parole sur l’espace public, ce qui est dommage 🙂 c’est un raccourci qui est regrettable! j’ai aussi croisé des militantes disant qu’un homme ne pouvait pas se définir en tant que féministe (ce que je trouve absurde), et qui avaient une volonté de les exclure de notre combat (ce que je trouve tout autant absurde).
Sur la bise/serrage de mains, si j’ai cité cet exemple c’est que je connais un groupe féministe qui en a fait une soirée-débat. c’est pour moi une perte de temps d’aborder cette seule question pendant une soirée entière, alors que tellement d’autres mériteraient plus d’attention. C’est traiter un symptôme, pas la cause d’une certaine manière.
Ceci dit, mis à part les exemples que j’ai cités qui me fatiguent, je te rejoins aussi sur le fait que la majorité de celles qui se battent ont une vision globalement claire des priorités! En fait j’ai passé récemment une soirée à débattre avec des gens qui estiment que le féminisme est le cancer de la société: ce furent des débats houleux, éreintants, mais passionnants parce que j’ai réussi à me faire entendre au bout du compte. Mais malgré ma victoire, la soirée m’a quand même donné envie de pousser un petit coup de gueule en grossissant le trait. ça ne fait jamais de mal de vider son sac 😉
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Oui tu as raison, et on a besoin de plein d’espaces différents pour discuter de ces aspects ! Pour le fait que les hommes puissent ou non se revendiquer féministes, j’avoue que c’est aussi un aspect qui me laisse assez indifférente dans la mesure où j’accorde davantage d’attention à ce que les mecs font concrètement comme efforts plutôt qu’au qualificatif qu’ils emploient (et là y’a tous les cas de figure, du mec qui se dit super féministe mais finalement on voit pas trop comment ça s’incarne au quotidien, au mec qui va pas du tout revendiquer ça mais dans les faits peut être considéré comme vraiment féministe…). Mais je comprends l’idée générale de vouloir que les femmes soient à l’initiative, parce qu’on se retrouve vite, y compris dans le monde associatif, avec des mecs qui reprennent la parole, le devant de la scène etc sans même s’en rendre compte. Gérer ça en mixité ça demande énormément de vigilance et d’énergie. Bref en tout cas pour moi un homme peut être féministe et je suis très indifférente vis à vis de l’étiquette qu’ils emploient, par contre ça me paraît clair que la façon dont on met en action ces convictions sera pas la même pour les hommes et les femmes… A titre perso j’attends quand-même que les hommes fassent surtout des efforts de remise en cause au quotidien, interrogent leurs pratiques, la façon dont ils prennent (beaucoup) la parole, qu’ils soient des soutiens actifs de la lutte en gros
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