
Le bloc de marbre brillait doucement à la lumière des bougies. Philippe contemplait la pierre avec gravité, ses outils à la main. La ride du lion entre ses sourcils était déjà profonde, mais semblait se creuser de minute en minute. ses lèvres plissées tremblaient un peu, les petites flammes se reflétaient dans ses yeux vitreux. Il semblait déterminé. L’ambiance dans l’atelier était lourde, palpable.
« Allez. » Il fut pris d’une quinte de toux, cracha un glaire ensanglanté par terre, et porta le premier coup au minéral. Avec des gestes un peu hasardeux, il tailla dans la pierre les contours d’une silhouette humaine.
Un, deux, trois. Un, deux, trois. Le silence pesant était déchiré par le son du burin heurtant le marbre, par trios de coups de plus en plus forts. La statue prit peu à peu l’aspect d’un homme d’une soixantaine d’années, nu, marqué par le temps. Sa cage thoracique était apparente, lui donnant un aspect rachitique et malade. Ses rides étaient profondes, son visage laid, ses cheveux clairsemés. Ses jambes étaient arquées et maigres, ses mains calleuses, pourvues de longs doigts osseux. Philippe sculpta les veines, des boutons sur son visage et ses bras, s’attachant au moindre détail.
Après plusieurs heures de travail, il porta le dernier coup à son oeuvre, avant de reculer d’un pas pour la contempler, visiblement satisfait. L’artiste inspira, expira profondément. Un léger sourire se dessina sur son visage, alors qu’il passait la main dans ses cheveux de nouveau fournis et en pleine santé. La ride du lion entre ses sourcils avait disparu.
Photo : Philippe-Laurent Roland, Buste d’un Vieil homme ou Étude de vieillard (vers 1774), terre cuite, musée des beaux-arts d’Angers.