
14/07/2017 :
J’écris ces lignes sous le figuier de la terrasse du Home, avec un café, en fumant des Kent (mes cigarettes israéliennes favorites). Nous sommes le 14 juillet 2017. Pour la fête Nationale, le consulat français ainsi que plusieurs ordres chrétiens assisteront à une messe spéciale, dans une église dont j’ai oublié le nom. J’aurais bien aimé que les bénévoles y soient aussi invités, je suis curieuse de voir à quoi ressemble cette célébration! On ne peut pas dire que la Révolution française ait été l’événement le plus religieux de notre histoire… En attendant, la journée se déroule comme d’habitude. Petit-déjeûner, messe, discussions. Trois séminaristes catalans sont censés arriver cet après-midi, pour se joindre à notre équipe de bénévoles. Distribution de boissons, discussions. Nous apprenons par les nouvelles sur une chaîne d’information arabe que des palestiniens ont attaqué des flics israéliens ce matin.




Boom.
La nouvelle me fait l’effet d’un coup de massue. Dans le Home, les personnes âgées sont paniquées, tristes, inquiètes. Le personnel palestinien est mortifié, abattu. Certains réagissent à peine, mais semblent encore plus fatigués qu’à l’ordinaire. Je parle avec une infirmière pour qu’elle me traduise les nouvelles. Apparemment, un policier israélien a été tué, je suppose que c’est à l’arme blanche. Les deux jeunes se sont échappés dans les rues jusqu’à l’Esplanade des Mosquées, au milieu de croyants en prière. Ils étaient poursuivis par des militaires, qui n’ont pas hésité à tirer sur la foule présente sur l’Esplanade. J’ai cru comprendre qu’ils ont été tués, ainsi que deux autres personnes.
« It happens every day, we are used to it. It’s not a life, but it’s our life.«
Je parle avec des Soeurs de l’ordre des Petites Soeurs de Jésus, très en colère. Jérusalem est complètement fermée, les israéliens ne laissent plus entrer personne dans la vieille ville. On a les informations au compte-goutte, c’est rageant. Les militaires israéliens ne donnent que très peu d’informations à la télévision palestinienne. La messe est annulée, ou reportée. Les chrétiens ne souhaitent pas faire de ce jour une célébration, vu les événements qui viennent de se passer. Les Soeurs restent donc au Home, et nous conseillent très fortement de ne pas sortir de la maison aujourd’hui. Nous ne mettons pas de difficultés à accepter, ce doit être le chaos dehors.
Lors du repas, l’ambiance est étrange. Les personnes âgées ne cessent de nous poser des questions, et nous tentons de les rassurer du mieux que nous pouvons. Je me sens ailleurs. J’interroge à mon tour le personnel, pour avoir des nouvelles. On en sait pas beaucoup plus, Jérusalem sera probablement bloquée pour quelques jours. Deux membres du personnel vont dormir sur place ce soir, par sécurité. On s’inquiète pour les séminaristes qui doivent arriver aujourd’hui, pourvu que leur route ne leur réserve pas trop de difficultés…
On entend des détonations autour du Home de temps en temps. J’espère que ce sont des célébrations du 14 juillet ou du vendredi.
Au service du soir, une question tourne sans cesse dans ma tête : » Comment peut-on tuer quelqu’un sur un site sacré? »
On aura probablement plus d’informations sur l’attaque dans le journal de demain. Le soir, l’habituelle cigarette accompagnée d’une bière sur la terrasse apaise un peu mes inquiétudes.
« Alors, tout à coup, du haut de la petite citadelle solitaire, la voix du Muezzin s’élève, une voix haute et claire, qui a le mordant triste et doux des hautbois, qui fait frissonner et qui fait prier, qui plane dans l’air d’un grand vol et comme avec un tremblement d’ailes […]. Devant ces magnificences de la terre et du ciel, dont l’homme est confondu, la voix chante, chante, psalmodie au Dieu de l’Islam, qui est aussi le Dieu des grands déserts. » Pierre Loti
15/07/2017 :
Pas de service le matin. Nous sommes assez de bénévoles dans l’équipe, nos emplois du temps seront organisés en demi-journées désormais. Charlie et moi prenons notre petit-déjeûner et partons marcher dans Ras Al-Hamud jusqu’à l’Eglise de Toutes-Les-Nations.





L’Eglise se situe en dehors des remparts de la vieille ville, et donc loin des barrages militaires les plus problématiques. Les rues sont calmes en effet, et on pourrait presque penser que l’attaque d’hier n’a pas eu lieu, si nous n’avions pas passé un checkpoint gardé par un fourgon blindé et une dizaine de militaires aimables comme des portes de prison. Le soleil est écrasant sur la route, et l’air charrie de la poussière. Un peu partout, des morceaux de pita abandonnés sèchent à l’air libre. Est-ce pour nourrir les oiseaux ou les chats errants?
L’église est construite sur l’emplacement où Jésus aurait passé sa dernière nuit avant d’être arrêté. Juste à côté, nous visitons le jardin de Gethsémani (pressoir à huile en araméen) et ses oliviers. Ils sont vieux de 2000 ans environ, et donnent encore des olives…!




Nous faisons ensuite escale à l’Eglise russe orthodoxe de Marie-Madeleine, au milieu d’un jardin tenu par des soeurs qui ont fait voeu de silence. Elle a été construite sur ordre du tsar Alexandre III de Russie en hommage à sa mère, l’impératrice Maria Alexandrovna. Nous y rentrons. Je la trouve plutôt sobre pour une église orthodoxe: dans mon imaginaire je me représente toujours les lieux de culte orthodoxes très chargés en décorations. Autour de l’autel, les enfants du tsar sont exposés dans des tombeaux ouverts… Brrr.




Avant de rentrer, nous buvons une limonada au café de Toutes-les-nations. Cette boisson est un peu un passage obligé pour un touriste qui se respecte, et elle est plutôt bienvenue. Certains cafés en font une espèce de smoothie citron-sucre-glace-menthe et franchement, c’est délicieux.
Au retour, service à 14h et entretien du jardin.




Le soir, après le service, nous mangeons entre bénévoles et accueillons deux nouvelles venues. Pas plus de nouvelles qu’hier, Jérusalem est encore fermée. J’espère que les choses vont se tasser.
A suivre…
Pour aller plus loin :