100 films importants en vrac – #1 Get out, une grinçante composition autour du « racisme positif »

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Le cinéma d’horreur est un genre trop souvent sous-estimé en France de mon point de vue. Si l’on voit aussi peu de ces films dans nos salles, c’est parce qu’il est très difficile d’en produire et qu’ils sont en général mal accueillis ou boudés par nos diffuseurs, au profit de comédies romantiques/familiales et autres films d’aventures tous publics, qui rassembleront un plus large champ de spectateurs. Que ce soit une question d’argent, de poltronnerie artistique, de manque d’innovation ou de manque d’objectivité de la part des diffuseurs, ce n’est un secret pour personne. En France, le cinéma de genre dérange, et le cinéma d’horreur tout particulièrement. On pourrait y trouver des dizaines de raisons, probablement. Pour certains, peut-être que l’exploration de la psyché humaine, de ses démons, de ses pulsions et de ses obsessions ne présente aucune noblesse ? Pourtant le lien entre cinéma d’horreur et interdits moraux reste un vaste thème à traiter qui n’aurait pas déplu à Freud, car nous sommes tous sujets, qu’on le veuille ou non, à des pulsions morbides ! Mais reléguer le genre de l’horreur au simple dessein de composer autour des nuances de la peur est déjà un raccourci malheureux. Car ces films peuvent aussi véhiculer des messages forts, mis en lumière par la violence qui leur est intrinsèque. Et certains traitent de leur sujet avec une richesse et une originalité qu’il faut pouvoir soutenir.

Get Out est un long métrage américain écrit et réalisé par l’humoriste Jordan Peele, sorti aux Etats-Unis le 24 février 2017 et le 3 mai en France. Ce film à petit budget (4,5 millions de dollars) a fait un énorme carton aux USA et a même réussi à détrôner Lego Batman dès son premier week-end d’exploitation ! En effet, le film parle globalement du racisme sous différentes formes, dans une société américaine à laquelle il est lié. Il a été conçu en 2015, et sort dans un contexte social et politique tout à fait propice à laisser retentir son message, à l’heure du Black Live Matters, de l’élection de Donald Trump et toutes les craintes qu’il véhicule. Et plus qu’autre chose, c’est la façon dont Jordan Peele choisit de traiter son sujet qui marque profondément. Il faut savoir que Get out a été produit notamment par Jason Blum, à qui l’on doit le financement de films tels que le Projet Blair Witch, Paranormal Activity, Insidious, Sinister, ou encore The Lords of Salem de Rob Zombie, tous des petits films avec un concept fort et novateur, qui ont impacté le cinéma de genre chacun à leur manière. C’est donc un film qui a été financé en partie pour l’intérêt que présente son propos. Si on prend en compte ses 206 millions de dollars de recettes dépassés ainsi que son accueil critique extrêmement positif et quasiment unanime, on peut se dire que c’est un pari réussi.

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Mais concrètement, de quoi ça s’agit ? Avant toute chose lecteur, SPOILER ALERT est de mise. J’ai retourné le sujet dans tous les sens, et non, vraiment, je n’ai pas envie de critiquer ce film sans te raconter l’histoire, tant le message du film et sa complexité sont intimement liés à son scénario. Alors bien cher lecteur, avant de finir la lecture de cette critique, je t’en conjure : démerde-toi pour voir ce film ! Si tu aimes les films cérébraux avec une forte ambiance tu ne seras pas déçu, fais-moi confiance.

Mais revenons à nos moutons : Chris et Rose filent donc le parfait amour depuis quelques mois. Et puisque les choses commencent à devenir sérieuses entre eux, ils ont prévu de passer le week-end chez les parents de la demoiselle, un neurochirurgien et une hypnothérapeute d’un milieu très aisé. Rose est blanche, et Chris est noir. Il appréhende la réaction des parents de sa copine lorsqu’ils découvriront la couleur de sa peau. Elle réussira plus ou moins à le rassurer en lui disant que son père et sa mère seront très sûrement maladroits mais qu’ils ne sont absolument pas racistes :« Mon père peut être lourd parce qu’il adore répéter qu’il voterait bien une troisième fois pour Obama, mais ne t’inquiète pas, il n’a aucun problème avec les noirs. ». Ils partent quand même.

Une fois arrivés, Chris est de nouveau mal à l’aise. Le père de Rose est effectivement très lourd « Alors, ça dure depuis combien de temps votre truc ? Nan c’est cool, bro ! », insiste pour faire visiter la maison à son futur gendre, et par la même occasion s’épancher avec la légèreté d’un pachyderme obèse sur l’appétit familial de découverte culturelle, leur attachement à Obama, et le rapport de leur histoire avec la culture noir-américaine. On apprend notamment que le grand-père de Rose, deuxième au 4x100m des Jeux Olympiques de 1936, a été battu de peu par l’athlète noir légendaire Jesse Owens, qui a réellement gagné quatre médailles d’or cette année-là sous les yeux d’Hitler. « Ca l’a énormément marqué. » A cette visite s’ajoute la présence des domestiques de la famille, un homme et une femme noirs. « Je sais que ça entretient un certain cliché, mais on les avait embauchés pour s’occuper de mes parents. Lorsqu’ils sont morts, nous n’avons pas eu le cœur de s’en séparer. » Chris tente de nouer un lien avec eux, mais leur attitude semble forcée, leurs manières, leurs vêtements et leur discours semblent trop vieillots pour être naturels. Tout cela est étrange. La mère de Rose tentera même de l’hypnotiser plus tard, sans son consentement. Quelque chose ne va pas.

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Lorsque le couple se retrouve le soir dans l’intimité de la chambre d’amis, Chris est mal à l’aise et Rose est révoltée. Ils réussissent cependant à rire de ce week-end malaisant en perspective, et se remonter le moral sur l’oreiller. Après tout, ce n’est qu’un sale moment à passer, après ils rentreront chez eux.

L’ambiance ne s’allègera pas le lendemain. Rose l’avait oublié, c’est le jour de la garden-party organisée chaque année par ses parents en l’honneur du Grand-père. Et les incidents s’enchaînent avec les invités : « La peau blanche est passée de mode, c’est la peau noire qui est à l’honneur aujourd’hui. » « Mon mari est un fana de golf ! Tiger Woods est le meilleur joueur de tous les temps, j’aimerais tellement avoir son swing ! » « Regardez-moi ces muscles et cette belle peau noire ! » … Le jeune homme se sent de plus en plus mal, jusqu’au moment où il reconnaît parmi l’assistance un autre afro-américain de son âge, qui avait été porté disparu quelques mois auparavant. De la même façon, ses habits et ses manières sont trop vieillottes pour être les siennes. Pour avoir des preuves de l’étrangeté de la situation, Chris décide d’engager la conversation et de faire une photo de lui discrètement, mais oublie d’enlever de flash de son téléphone portable. Son interlocuteur a alors une absence, se met à saigner du nez et lui saute dessus en lui hurlant : « Sors d’ici ! Sors d’ici ! » avant d’être maîtrisé et emmené dans le cabinet de la mère de Rose. Peu après, le jeune homme en ressort « rétabli », de nouveau mû par ses manières d’un autre âge.

Le soir venu, Chris est définitivement inquiet. « Rose, quelque chose ne va pas, on s’en va. » Il la presse pour partir, mais la famille lui bloque le passage et la mère l’endort par hypnose. Chris est enfermé dans une pièce au sous-sol de la maison, et on apprend ce qui lui arrive : il a été l’objet d’une enchère entre les convives de la garden-party. Rose n’est pas vraiment sa petite copine, elle était simplement chargée de le ramener ici. Et il n’est pas son premier, loin de là. Le but est de lui faire subir une opération chirurgicale afin de prélever une partie de son cerveau et de l’échanger avec celle de l’acheteur. Ceux-ci sont tous des gens fortunés qui recherchent une amélioration physique, une meilleure vie sexuelle, ou la guérison d’un handicap. Ici, Chris a été vendu à un propriétaire d’une galerie d’art aveugle qui admire son sens de la photographie : il lui explique qu’il se fout de sa peau noire, ce qu’il veut c’est pouvoir voir, et faire des photos avec le talent du jeune homme. En résumé, ce que le jeune homme va être forcé de subir, c’est une opération chirurgicale pour implanter dans son corps le cerveau, la personnalité, l’esprit de quelqu’un d’autre, qui a payé pour ça.

Je vous ai déjà bien spoilé l’histoire, je vous laisse découvrir si/comment Chris se sortira de cette situation. De toutes façons, Get Out est un film incontournable à notre époque marquée par les extrêmes qu’elles soient assumées ou craintes, ou encore la peur de l’autre et de la différence. Get Out est un excellent film en soi, qui distille avec maestria une atmosphère de thriller psychologique quasi-insoutenable par moments, un humour noir (sans mauvais jeu de mots) délicieusement trash, une direction d’acteurs et un casting à la hauteur de la tâche (Daniel Kaluuya, l’interprète de Chris, m’a personnellement beaucoup plu). Mais ce qui marque profondément concernant ce film, c’est son propos percutant, d’une finesse et d’une violence rare. Jordan Peele nous offre ici deux niveaux de lecture au visionnage de Get Out : il y développe des personnages profondément racistes, mais de deux manières. La première interprétation, la plus évidente, les montre comme des personnages faussement ouverts et accueillants, prêts disposer du corps d’autres gens qu’ils considèrent comme assez inférieur à eux et dispensables pour devenir de simples vaisseaux vides, où l’on pourrait y implanter l’esprit de quelqu’un moyennant finances. Et ce n’est un secret pour personne, la question du racisme avec celle des violences policières qui y sont liées, est un sujet sensible aux Etats Unis.
Mais le scénario est à mon sens plus subtil que cela. Un des éléments qui installe une gêne chez le spectateur, c’est cette fascination qu’on tous les personnages blancs pour les noirs. Ils admirent leur peau, leurs capacités, leur histoire, leur courage, leurs performances sexuelles, etc… Construisant des clichés qu’on peut facilement imaginer comme extrêmement malaisants à vivre. L’auteur aborde dans ce deuxième niveau de lecture le sujet très délicat du « racisme positif » avec brio. Cette forme de discrimination peut s’appliquer à n’importe quelle ethnie, aux féministes, militants LGBT, etc. Car la discrimination positive, c’est quoi? C’est un ensemble de lois, ou de manières d’être et d’agir envers des minorités ou groupes de personnes qui sont d’ordinaire sujettes à de la discrimination sociale, ethnique, sexuelle ou religieuse. Et le problème est dans l’intitulé: lorsqu’on traite une personne de manière positive selon sa différence, n’est-ce pas une manière de souligner encore une fois la divergence entre deux ethnies? N’est ce pas encore une fois une manière de reléguer cette personne à son appartenance religieuse, sexuelle ou ethnique? Une blague raciste « entre potes » ou encore une remarque sexiste « pour rire » font-elles aussi mal qu’une insulte pensée? Sont-elles aussi stigmatisantes? Le spectateur est seul juge…

Pour commencer cette liste de 100 films en vrac, Get Out est un must see. C’est un thriller horrifique original, ambitieux, mené de main de maître, au casting investi et talentueux. Si vous aimez comme moi les thrillers psychologiques, vous passerez un intense moment de cinéma, riche en émotions et en réflexions importantes sur cette thématique sensible, qui vous trottera dans la tête pendant encore longtemps!

Bon visionnage!

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