
C’est une route. Il y a une route, là, une voie express. A portée de vol d’oiseau. Une route, vide? Une route linéaire et sans escarres. Lisse… Lisse de goudron en forme de papier glacé.
C’est une petite fille au bord de la route. Il y a comme un thème de guitare qui résonne dans ses oreilles, accompagné des sons douloureux d’une voix torturée.
Seule. Seule au bord de la voie express.
Elle est un souffle de vent au milieu des berlines qui tracent la route de leur pouvoir d’achat. Diaphane, quasi invisible, aussi légère qu’un souvenir. Aussi mélancolique qu’un jouet abandonné dans un grenier. On dirait une vieille poupée de cire avec les yeux qui pleurent. Un pantin aux fils sectionnés. La petite fille est immobile, et regarde passer la vie au bord de la voie express. Un trou, au creux de son estomac. Les yeux fixes.
Et les autos filent, les yeux bandés. Qui peut la voir? Elle n’est qu’un reflet des névroses des ménagères de moins de cinquante ans.
Est-elle réelle? Ce n’est peut-être que la réécriture de la métaphore d’une légende urbaine. Une projection astrale. Un fantôme, une âme en peine transie de froid…? C’est une strophe de poésie du macadam, avec le regard triste et les cheveux sales.
Et le monde tourne, tourne, tourne, tourne encore, de plus en plus vite, dans le sens de cette voie express.
C’est alors que la petite fille commença à s’effacer. Pendant que l’humanité courait, fuyait à la vitesse d’un crochet du droit, elle s’atténuait à la manière d’un morceau qui se termine. La fille de rien s’en allait sans mot dire, sans giclée de sang, sans teint blafard. Elle s’effilochait comme une erreur dans un texte qu’on effacerait à la gomme.
Peu à peu, elle part, sans faire un geste.
Et bientôt on ne la voit plus.
Et le vent promène un pull crasseux sur la voie express.