Je t’aime, bordel.
Ces mots, exacerbés par les effets du petit carton imbibé d’acide qu’il avait avalé tournoyaient dans sa tête à la vitesse du son.
Il la tenait entre ses bras. Il La tenait. Son Elle. Une moitié de lui-même, accordée aux battements de son coeur. Elle. La fille qui maintenait ses poumons rongés de nicotine en vie. L’être qui permettait à son sang de courir ses artères, à ses pensées de s’envoler au rythme de la musique. La femme qui lui donnait envie de vivre encore, pour pouvoir sentir ce souffle sur sa peau, ces lèvres qui mordent tendrement, ces yeux qui scrutent, habillés d’étoiles filantes. Ses yeux hallucinés créaient autour d’eux d’immenses entrelacs indéfinissables, qui s’envolaient et explosaient au contact de la lumière des stroboscopes. Autour d’eux apparaissaient et disparaissaient des silhouettes diaphanes qui semblaient les regarder. Passants, teufeurs ou LSD? Aucune importance.
L’univers se mit à se distordre au rythme d’un battement de coeur. Le jeune homme était là, les yeux écarquillés, observant avec attention la nuit qui s’exprimait autour de lui. Chacun des arbres alentour hurlait en silence trois lettres, chatonnant la Lucy comme pour le narguer.
Oh mon Dieu…! Devant ses yeux volent et tourbillonnent des mandalas de toutes les couleurs. La route face à lui se transforme en un à-pic vertigineux. Un gigantesque frisson chimique lui parcourt l’échine, et lui arrache un petit gémissement de plaisir. Et Elle, encore Elle, abandonnée dans ses bras. Il aurait voulu l’avoir contre lui pour toute sa vie. Ce qu’il pouvait voir de son visage s’étirait, se rétractait au rythme des basses qui lui saturaient les tympans; conduits auditifs à vif qui venaient de passer des heures entières collées là où les décibels étaient les plus grands, partis loin de notre monde, occupées à rechercher les retombées magnétiques de l’explosion du son, qui résonnait encore dans tout son corps.
Et maintenant il était là, avec Elle, qui dormait contre lui, et il ressentait presque ses pupilles se dilater à en exploser, observant un monde onirique qui s’offrait à ses yeux hallucinés. Il lui semblait que quelque chose venait de se passer, sans savoir quoi.
Enora. Enora. Enora. Enora. Enora. Enora. Enora.
Je t’aime, bordel. Je t’aime entière, sans rien laisser, sans rien perdre. Etrangle-moi, fracasse-moi le crâne, ouvre-moi le ventre et dévore mes viscères, pourvu que tu m’aimes!
Enora. Enora. Enora. Enora.
Je pourrais rester te regarder dormir pour l’éternité. Jusqu’à ce que ton sommeil te transforme en poussière.
Tu m’obsèdes. T’es mes pensées, à chaque seconde. T’es la lune qui amène la marée de mon imagination vers les pays où l’on Rêve encore.
Enora.
T’es mon corps ignorant la douleur, qui danse devant le son jusqu’à s’en écrouler. T’es mon visage qui a trop souri. T’es mon coeur qui explose de bonheur dans ma poitrine. Je t’aime à en crever.
Les fragmentations devant ses yeux prenaient des teintes douces et tendres, des formes arrondies et lentes. Le son devenait lointain. Les arbres devant lui se tordaient toujours, semblant prêts à tomber sur eux, le sol respirait, les lumières de la teuf au loin allaient et venaient, comme voulant les rejoindre pour les entourer. Les branches qui se mouvaient au rythme du vent ressemblaient tout d’un coup à des dryades, dansant avec une grâce jamais égalée. Dans les buissons autour d’eux se dissimulaient des trolls, des elfes et des fées qui observaient de leurs petits yeux malicieux la scène qui se déroulait devant eux.
Il se sentait immensément petit et fragile, mais pourtant au sein de quelque chose qui lui correspondait, qui faisait partie intégrante de lui-même. Comment décrire ce qu’il ressentait?
Tout autour d’eux, les arbres dans la nuit prenaient la forme du visage de la Fille. Lorsqu’il fermait les yeux, il pouvait voir d’étranges serpents aux teintes ocres enserrer quelque chose qu’il ne pouvait pas voir, puis exploser à la manière d’un kaléidoscope. S’il ouvrait les yeux, il pouvait voir devant ses pupilles d’immenses cercles aux teintes arc-en-ciel qui grandissaient comme des ronds dans l’eau.
L.S.D. LSD. Acide Lysergique Diéthylamide. Qu’y avait-il à comprendre de plus? Devant lui, le chemin s’allongeait, semblant sans fin. Il s’imagina marcher avec elle, pour la vie. Marcher, avec elle dans ses bras, jusqu’à tomber d’épuisement et ne plus pouvoir bouger.
Il sentit dans tout son corps les stigmates de cette marche éternelle. Ses jambes et leurs muscles palpitaient. Son sang courait, filait dans toutes ses veines. Son coeur cognait dans sa poitrine comme pour lui signaler son existence. Ses pieds, ancrés dans la terre, ressentaient les basses et leurs répercussions dans l’espace.
Soudain, il prit conscience qu’il existait. Que son corps et son esprit faisaient partie intégrante du monde dans lequel il vivait. Et que d’autres existences l’entouraient.
Il fallait profiter, tant que c’était possible de le faire.
Quelle évidence…
Retourner devant le son.
Il eut brusquement la sensation que son esprit retombait en son être. Atterrissage difficile. Reprise de son souffle. Allez. Il était pris maintenant d’une envie de goûter une nouvelle fois à la saveur de la pomme. D’embrasser cette bouche qui avait le goût de la Nuit.
Il s’abaissa vers elle. Vit ses mains autour de son cou. Mordit ses lèvres avec la tendresse la plus grande.
Elle ne réagit pas.
Comme son sommeil était profond…
Image: http://www.deviantart.com/tag/psychedelic