Achluophobia – micronouvelle

28_peurdunoir

Je ne suis pas folle. Non. Je ne suis pas folle. Mais je ne peux me séparer de l’intuition persistante s’accrochant comme un arapède à mon cerveau fatigué que trois heures du matin ont sonné. Je n’ai qu’à jeter un coup d’oeil à mon jaz pour voir que j’ai raison.
3:02. L’heure a sonné . Une quasi-ponctualité se répétant chaque foutue nuit. Une quasi-ponctualité précédant mille choses qui, chaque nuit, me volent ma torpeur réparatrice. Mille événements comme autant de grains de sable dans les rouages bien huilés de ce foutu train du sommeil. Et déjà ça commence.
La nuit s’est faite possessive, écrasante, langoureuse. Je sens ses bras pesants d’entités que je ne peux voir m’entourer, m’attirer à elle. Je sens la nuit devenir myriade, multitude, grouillement. Je la sens m’envahir, s’immiscer dans chaque recoin de ma couette; effleurer mes jambes nues, parcourir chaque parcelle de mon corps que ma couverture ne protège pas. Je la sens appuyer des mains puissantes sur ma poitrine. Je ne peux respirer normalement, j’étouffe.

Non, je ne suis pas folle. Je ne suis pas folle. Je ne rêve pas lorsque je sens une main diaphane m’effleurer la joue, et des dizaines d’yeux m’observer, attendant que mes paupières s’ouvrent pour me sauter à la gorge.
Des sueurs froides coulent le long de mon échine, qui s’empêche de se cambrer pour trouver une position plus confortable dans ce lit trop chaud qui se trempe de sueur. Ca y est. La farandole, la danse macabre s’enclenche, le manège de mes peurs se met à tourner comme la lame d’une scie sauteuse. Trop tard pour allumer la lampe de chevet. Ils pourraient m’attraper le bras. Eux. Qui? Mais je sais bien, Qui. D’ailleurs j’entends leurs murmures qui se taisent dans l’embrasure de la porte, que j’ai laissée entrouverte. J’ouvre les yeux, par réflexe. J’aperçois dans l’interstice le teint blanc d’un visage qui me fixe. Je ferme les yeux, éperdument. Si je fais semblant de dormir, ils se désintéresseront de mon corps dans lequel la vie bouillonne de terreur.

Je ne suis pas folle. Non, non. Non, je ne suis pas folle. Je ne suis pas folle. Mais j’ai peur. J’ai peur. Chaque nuit c’est pareil. Pourquoi alors s’obstiner à ETEINDRE la lumière?
Stratégiquement, c’est imprudent. Le noir est le meilleur des camouflages.
L’obscurité fait délirer mon cerveau, qui fait se tendre chaque parcelle de mon corps à l’écoute du moindre bruit, comme autant de promesses d’un danger imminent. Et la nuit, alors, se fait petites piques, craquements, frôlements, bruits de pas, imperceptibles, sournois.
Je sens des regards qui tentent de forcer mes paupières avec des pieds de biche invisibles.

Je ne suis pas folle. Non. Je suis loin d’être folle. Je ne suis pas folle. Je suis phobique. Achluophobe. Nom scientifique bien inutile pour désigner cette heure qui, chaque nuit, m’empêche de me plonger dans mon inconscient. Nom scientifique pour désigner des peurs enfantines dont tout le monde se moque. Je ne suis pas folle. Je n’ai pas de monstres sous mon lit. Non. Il y en a des dizaines qui jouxtent mon matelas, que je ne peux voir, mais qui pourraient…
J’entends des voix! Un murmure presque inaudible. Ne pas bouger, surtout. Tant pis pour cette moiteur insupportable de mon corps sous la couette. Ne pas se faire remarquer de cette voix. Est-ce que ses mots sont humains? Un seul détail m’angoisse: dans le cocon protecteur que j’ai fait de mes couvertures, j’ai oublié d’enserrer mon pied droit. Je sens de l’air froid sur mes orteils. Je ne suis pas complètement en sécurité. Et toujours, cette voix… On dirait qu’elle chante. Des notes inhumainement longues, tenues avec une douceur qui me donne des sueurs froides. Je voudrais savoir ce qu’elle chante… Mais ce serait trop risqué de me lever, d’arpenter ce ne man’s land sombre et terrifiant. Qu’est ce qu’elle chante? Je n’arriverai pas à dormir. Mais est-ce que vraiment elle chante? C’est terriblement beau. Mais est-ce une hallucination auditive ou une créature invisible qui cherche à attirer mon attention?
Ne pas bouger. Ne pas bouger. Ou déplacer très lentement mon pied pour me mettre en sécurité. Mon Dieu. Tout l’épouvantable cosmos informe et invisible s’est concentré sur moi. Je sens un essaim formidable, une légion de regards inhumains focalisés sur mon pied. Comme chaque nuit, à la merci de ce que je ne connais pas. Mon Dieu. Faites qu’ils ne décident pas d’aller plus loin. Faites qu’ils ne décident pas de m’attaquer. Je devrais être à l’abri sous ma couette. Mais si quelqu’un que je n’aurais pas remarqué décidait de tirer mes couvertures d’un seul coup? Mon Dieu.
MonDieuMonDieuMonDieuMonDieu.

Je ne suis pas folle. Non, je ne suis pas folle. Ce n’est pas vrai. Mais je voudrais m’extirper ces visions de cauchemar de la tête…!

11:42. Clarté éblouissante du soleil qui perce à travers mes volets. Comme tous les matins, le réveil n’a pas sonné. Je ne suis pas folle, non. NON.

A quelle heure me suis-je rendormie?…

Image : film « Peur(s) du noir »

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