La scène est vide, mais plus pour longtemps. Contrastant avec le quasi-silence des coulisses, le public émet un brouhaha continu qui pourrait presque bercer le petit Monde. Les coulisses sont noires, c’est reposant. Le trac noue les entrailles, prend aux tripes. Tu aimes cette sensation. Etriquée dans ton costume, tu tentes de ne plus penser à rien. Le rideau est fermé, ceux qui doivent être placés le sont. Les coulisses sont minuscules. Tu t’y sens bien, à l’étroit. Tu t’y faufiles pour t’asseoir, entre une prise géante de couleur marron, une cale pour le pendrillon le plus proche et une chaise, sur laquelle sont posés un bonnet de nuit et un pyjama bleu clair. Tes yeux se ferment, et tu ressens tout de suite la plénitude qui te pénètre seulement dans les théâtres. Les yeux fermés, tu es loin. Ca y est, tu ne penses plus à rien. C’est dans ces moments-là que tu te sens le plus proche de toi-même. Tu comprends, à chaque fois, pendant ces infimes secondes, que tu es faite pour cela. Faire partie de ce monde, celui du jeu. Répéter inlassablement en recherchant la perfection, avoir le trac, jouer, jouer, jouer, jouer… User de ce jargon théâtral comme d’une formule magique. Incarner, imaginer, créer, recycler, penser, étudier, jouer, jouer, jouer, jouer… Respecter scrupuleusement les mille et unes superstitions des théâtres, par plaisir de connaître un univers sur le bout des doigts. Répéter, essayer, rater, recommencer, réussir, recréer, recommencer, créer, avoir le trac, voyager, côtoyer, rencontrer, expérimenter, jouer, jouer, jouer, jouer, jouer, …
Le technicien a éteint le parterre. Le public se tait peu à peu. Le rideau s’ouvre, à pas feutrés. Comme un chat. Un moment de rien, éternel, sur le qui-vive, se passe.
Puis ça commence.
